Construire une vision partagée et piloter le changement

Cet article a pour but de montrer comment l’élaboration d’une vision partagée impliquant les principales parties prenantes crée les conditions qui permettent un véritable pilotage stratégique du changement. Il s’appuie sur l’expérience de l’auteur avec de nombreuses équipes de direction.

Elaboration d’une vision par une équipe de direction

Dans mon travail d’animateur, j’essaie de travailler le plus possible avec des équipes de direction générale – au moins au départ – pour plusieurs raisons: leur autonomie d’action, leur rôle dans la stratégie, leur visibilité et leur influence sur le reste de l’organisation; il m’arrive de commencer par une direction de division ou même une équipe de projet si je sens qu’elle dispose de l’autonomie suffisante. Mon but est de leur donner l’occasion de commencer à pratiquer ensemble les disciplines de l’entreprise apprenante, tout en clarifiant leur vision stratégique.

Lors de mes premiers contacts avec le leader de l’équipe et certains de ses coéquipiers, j’essaie de vérifier si les conditions de succès d’un travail de ce type sont bien réunies: (1) un leader prêt à s’engager dans un processus de co- création et d’apprentissage avec son équipe, capable de suspendre ses a priori et de donner sa chance à chacun de s’exprimer complètement; (2) un minimum de membres prêts à s’engager personnellement dans la remise en cause des modes de pensée et de comportement habituels; (3) la présence au séminaire de toutes les personnes qui travaillent en forte interdépendance, même s’ils ne font pas partie de l’équipe de manière formelle (il m’est arrivé d’inclure dans le séminaire de direction générale des membres actifs du conseil d’administration ainsi que des leaders informels); (4) des responsabilités clairement définies pour chacun, au moins comme point de départ; (5) un moment opportun pour s’engager dans ce processus de changement (par exemple : nouveau leader, renouvellement partiel de l’équipe, changement important dans l’environnement et/ou la stratégie, fusion ou acquisition).

Je propose en général à mes clients d’investir un minimum de deux jours dans le séminaire initial, précédé de quelques entretiens avec deux ou trois personnes- clés, et suivi, si l’équipe le décide, d’un point d’avancement et d’actualisation six à neuf mois plus tard.

Le travail que je leur propose – dont le thème est « vision et unité d’action » – a trois principaux objectifs :

  • Réaliser l’unité d’action de l’équipe autour d’une vision et de valeurs partagées, à partir d’une clarification de la vision et des valeurs personnelles de chacun des participants et d’une évaluation lucide et commune de la réalité présente.
  • Définir des objectifs prioritaires pour l’équipe, engageant la responsabilité de chacun, permettant de combler les principaux écarts entre réalité et vision et de mesurer les progrès accomplis vers la vision.
  • Choisir des règles du jeu permettant de mieux travailler en équipe et s’engager sur les prochaines étapes permettant d’impliquer une masse critique de membres de l’entreprise dans l’approfondissement et la réalisation de la vision.

Dans la préparation, je prends en compte les travaux déjà faits sur la mission, les valeurs, la vision ou projet de l’entreprise et le dernier plan stratégique, ainsi que la perception des principaux défis que doit relever l’équipe. Je m’informe sur les actions déjà lancées pour améliorer la qualité totale, le tableau de bord utilisé par la direction, la fréquence des réunions de réflexion et l’existence de règles du jeu élaborées en commun.

Le séminaire lui-même commence par l’explicitation des attentes et craintes individuelles, un bref rappel des caractéristiques propres aux équipes à forte unité d’action (qui a pour but de proposer un vocabulaire commun) ainsi qu’un premier inventaire en groupe des facteurs favorisant et freinant l’apprenance dans l’équipe et le reste de l’entreprise. Les participants sont ensuite invités à faire part de leurs valeurs personnelles en petits groupes et à observer dans quelle mesure les valeurs effectivement partagées convergent ou non avec les valeurs affirmées par l’entreprise. Ils ont aussi la possibilité de clarifier leur vision personnelle et professionnelle, et de la traduire en termes de relations de travail souhaitées qui leur permettraient de maximiser leur propre contribution à l’équipe. La mise en commun de ces souhaits représente la première partie de la vision partagée.

L’équipe construit ensuite la liste des principales parties prenantes externes et internes qui vont concourir à ou être influencées par la réalisation de la vision : clients, fournisseurs, partenaires, concurrents, collectivités locales, actionnaires, personnel, syndicats, etc. Selon le nombre retenu et la taille de l’équipe, de petits groupes se répartissent les parties prenantes et identifient dans un premier temps ce que ces parties diraient de la qualité de relation et de la nature des accords avec l’entreprise, si la vision à moyen terme était réalisée. Tout en reprenant ce qui est déjà apprécié par elles dans la situation présente, chaque groupe met l’accent sur ce qui représenterait un saut qualitatif dans ces relations et accords. C’est bien sûr l’occasion pour chacun de comparer ses perceptions du présent et du futur à celles des autres membres du groupe et de choisir d’enrichir son point de vue. Chaque petit groupe restitue ensuite son analyse à l’ensemble de l’équipe, en identifiant les trois ou quatre points qu’il estime prioritaires, selon trois critères : sa perception de ce qui est crucial pour l’avenir, l’amplitude de l’écart constaté entre vision et réalité, et les possibilités d’effet multiplicateur. Le dialogue en grand groupe sur la vision et les points jugés prioritaires permet de discerner les points de convergence et les thèmes communs, d’un point de vue systémique : sept à dix domaines d’amélioration ou d’innovation émergent en général de cette phase.

L’équipe est alors invitée en convertir ces domaines en priorités stratégiques qui vont mobiliser ses membres au cours des 12 à 24 prochains mois. Ces priorités peuvent être tournés vers l’extérieur (par ex., centrage sur les besoins des clients, partenariat avec les fournisseurs ou les collectivités locales) ou vers l’intérieur (par ex., mise en place d’un système d’information intégré, formation de l’encadrement au dialogue). Elles débouchent souvent sur la modification et/ou l’amélioration des principaux processus de l’entreprise, dont la réalisation sera mesurable ou observable. L’élaboration d’un tableau de répartition des rôles dans l’équipe pour chacune des priorités permet de préciser qui en est le pilote, le conseil ou le soutien dans la mise en oeuvre, ainsi que les dates limites et les points d’avancement. L’objectif est que chacun s’engage dans le rôle qu’il choisit en accord avec ses équipiers, tout en se sentant solidairement responsable des résultats d’ensemble*. L’équipe convient également du mode d’approfondis- sement de la vision et des priorités stratégiques, en impliquant d’autres collaborateurs, voire certaines parties prenantes extérieures, dans un travail qui suivra un canevas similaire à celui de ce séminaire initial.*

Le choix de règles du jeu pour le travail en équipe vient compléter ce travail sur les priorités stratégiques. S’appuyant sur la mise en commun des relations de travail souhaitées par chacun, il donne aux uns et aux autres l’occasion de s’exprimer sur certains sujets tabous dans l’équipe, en mettant l’accent, dans les règles du jeu qu’ils proposent, sur les comportements où ils constatent l’écart le plus fort entre relations souhaitées et relations pratiquées dans l’équipe. Une date est souvent fixée – 6 ou 9 mois plus tard – pour faire un point d’une journée avec l’équipe des progrès réalisés dans la mise en œuvre des priorités statégiques et le respect des règles du jeu.

Le séminaire permet d’intégrer l’ensemble des cinq disciplines de l’apprenance en utilisant les questions et interventions des participants comme points d’application: valeurs et visions personnelles et vision partagée le premier jour, pensée systémique dans l’examen de la réalité présente et des priorités stratégiques à retenir, modèles mentaux et apprentissage en équipe pendant les deux jours. L’équipe repart non seulement avec des « produits » tangibles comme l’esquisse d’une vision partagée, les priorités retenues, les règles du jeu et les prochaines étapes, mais aussi avec une expérience d’un travail intense de réflexion en commun, où de nouveaux modes de relation et d’interaction ont pu être expérimentés. Ce travail conscient devra, bien sûr, être poursuivi et approfondi dans le fonctionnement quotidien pour qu’un changement réel et durable se produise.


* Pour plus de détails voir le Chapitre 50 “Les priorités stratégiques” dans le “Guide de Terrain” de Peter Senge et al, pages 397-399

About Alain

Alain Gauthier’s current focus as an author, consultant, facilitator, educator, and coach is on evolutionary co-leadership development and collective learning as prerequisites for cultivating deep and lasting change in and across organizations. A graduate from H.E.C. (Paris) and an M.B.A. from Stanford University, he has served over the past 45 years a large variety of client organizations in Europe, Japan and North America. He first worked as a senior associate of McKinsey & Company in Europe, then as a partner of a Paris-based consulting firm, and is currently Executive Director of Core Leadership Development and Founder of the Global Transforming Ensemble, in the San Francisco Bay Area.
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